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[Fsfe-france] Pour archive: Chat Mr Sirinelli d u 14 Décembre 2005
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Loic Dachary |
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[Fsfe-france] Pour archive: Chat Mr Sirinelli d u 14 Décembre 2005 |
Date: |
Tue, 20 Dec 2005 12:02:00 +0100 |
Distribution des ô óuvres en ligne : quel avenir pour les logiciels
d'échange de pair à pair ?
Débat avec Perre Sirinelli et Joëlle Farchy, président et
vice-présidente de la commission sur les contenus numériques et la
distribution des ô óuvres en ligne du Conseil supérieur de la propriété
littéraire et artistique.
Paul-Emile : Ne pensez-vous pas que le P2P (peer to peer) soit un
contrepoids social et distribué à quatre multinationales géantes (pour
faire court) qui peuvent décider monopolistiquement de quel contenu
doit être distribué, quand et à quel prix ? Au nom de quel droit
d'auteur peut-on empêcher l'accès à des ô óuvres protégées mais qui ne
sont plus distribuées parce que non rentables ?
Joëlle Farchy : Ce qui est très vrai, c'est que le marché du disque
est un marché extrêmement oligopolistique. Cela étant, il l'a été
depuis les origines, et ce n'est pas pour autant que la musique
n'était pas vendue. Le peer to peer est effectivement le début d'une
nouvelle forme de consommation, ça ne veut pas dire qu'il ne faut plus
qu'il y ait de rémunération pour les auteurs et les producteurs. Ce
qui est important, ce n'est pas seulement l'existence de ces quatre
multinationales, c'est la manière dont l'argent est réparti et le fait
que ces multinationales puissent faire vivre des créateurs, des
artistes interprètes.
Pierre Sirinelli : En fait, le droit d'auteur n'est pas en soi un
obstacle à l'utilisation des ô óuvres. Et les travaux de la commission
ont eu pour objectif d'accroître l'offre d'ô óuvres et même de conduire
à la possibilité d'accès à des ô óuvres qui étaient jusqu'alors
oubliées. Ce que nous souhaitons développer, c'est un peer to peer
légal.
JZ : Mme Farchy, qu'est-ce qui vous fait penser, en tant
qu'économiste, que l'industrie du disque traverse une crise qui serait
due aux téléchargements sur Internet ? Il semblerait que les résultats
nets d'Universal Music aient été multipliés par trois l'année
dernière...
Joëlle Farchy : Il ne faut pas être extrémiste, d'un côté comme de
l'autre. Il est impossible de dire que toute la crise que l'industrie
du disque a traversée depuis quelques années est uniquement liée au
piratage. Il y a dans le domaine de la musique, depuis toujours, des
cycles de vie des produits, et on peut imaginer que le CD qui a été
lancé au début des années 1980 était en grande partie en fin de cycle
de vie. Et donc, que de nouvelles offres étaient nécessaires. Ce qui
est très particulier aujourd'hui, c'est que les nouvelles offres n'ont
pas été lancées par les industriels, comme les autres cas dans
l'histoire de cette industrie, mais par les internautes eux-mêmes.
Si on ne peut pas dire que toute la crise est liée au piratage, il
serait aussi tout à fait absurde de penser que les nouvelles formes de
consommation n'ont aucun impact sur les ventes de CD traditionnels. Là
encore, ce qui est important, c'est de trouver des nouvelles offres
qui correspondent à la fois aux attentes des consommateurs et à la
vivacité et à la diversité de la création.
Sophie Dalbin : Comment envisagez-vous l'exploitation commerciale du P2P ?
Pierre Sirinelli : Il faut bien comprendre que l'essor du P2P légal ne
peut se faire que s'il ne subit pas la concurrence déloyale du P2P
illicite. Le but de l'opération est donc de favoriser cet essor légal
en lui offrant un cadre sécurisé. Ce qui signifie mettre les
internautes à l'abri des poursuites, laisser aux ayants droit la
possibilité de décider des modes de communication, et sensibiliser
tous les intermédiaires de la chaîne au respect des droits de
propriété intellectuelle.
Joëlle Farchy : Les nouvelles offres qui seront proposées ne sont pas
forcément des offres commerciales classiques. Et on peut parfaitement
imaginer des modèles dans lesquels des offres gratuites seraient
proposées aux internautes, tout en générant des ressources pour les
auteurs, les producteurs et les artistes interprètes. Ce qui est très
choquant, c'est lorsque des sites de P2P développement des business
models dans lesquels ils gagnent eux-mêmes beaucoup d'argent sans rien
reverser aux créateurs, alors même que toute leur activité fonctionne
sur l'existence de contenus culturels.
Antoine : Que pensez-vous de la récente "Etude de faisabilité sur un
système de compensation pour l'échange des ô óuvres sur Internet"
dirigée par le professeur André Lucas ?
Pierre Sirinelli : Le rapport présenté par l'Alliance n'est pas une
réponse aux travaux de la commission, puisqu'il s'agit d'un rapport de
six mois antérieur aux conclusions de la commission du CSPLA (Conseil
supérieur de la propriété littéraire et artistique). Ce rapport est un
rapport produit par le laboratoire d'André Lucas et rédigé par deux
jeunes chercheurs de ce laboratoire, mais non par le professeur Lucas
lui-même. Sur le fond, pour en avoir beaucoup discuté avec lui ôòó mais
c'est à lui qu'il convient de poser la question ôòó, il semblerait que
le professeur Lucas ne voie pas d'obstacle juridique majeur à la mise
en place du système de licence dite "globale".
En revanche, il trouve qu'en termes d'opportunité, ce serait une
mauvaise solution. La commission, elle, a très longuement discuté sur
la faisabilité juridique de pareille construction, et la majorité de
la commission a conclu à la non-conformité de cette solution aux
engagements internationaux de la France. C'est-à-dire la convention de
Berne ou la directive communautaire. Sur le plan économique, la
commission a trouvé que les propositions n'étaient pas réalistes.
Joëlle Farchy : Au départ, la proposition de l'Alliance s'appelait
"licence légale". La licence légale est une forme de mise en ô óuvre des
droits d'auteur qui remet en cause le principe fondamental de droit
fondamental d'autoriser ou d'interdire l'exploitation d'une ô óuvre.
Pierre Sirinelli : Elle est donc envisagée de façon restrictive par
les textes internationaux. Pour cette raison, l'Alliance a mis sur
pied non pas un vrai système de licence légale, mais un système de
gestion collective obligatoire qu'elle appelle "licence globale".
Joëlle Farchy : Sur le plan économique, cette solution est extrêmement
séduisante a priori, c'est pour cela qu'elle soulève autant de
passion. En fait, si on y regarde de plus près, c'est un modèle
beaucoup plus complexe qu'il n'apparaît, et surtout c'est un modèle
défensif, contrairement à ce qui est affiché. Le premier gros
problème, c'est que personne ne sait aujourd'hui quel serait le
montant de cette rémunération. Et ce qui est très clair, c'est que si
on veut que ce soit supportable pour les internautes, il faudra se
limiter à certains types de contenus.
Par exemple, uniquement la musique, ou uniquement les films
anciens. Ce qui veut dire qu'il va falloir expliquer aux internautes
qu'il sera légal de télécharger les films de plus de quatre ans, mais
que par contre ils pourront toujours être poursuivis s'ils
téléchargent des films récents.
On est donc loin de la simplicité affichée. D'autre part, la
rémunération dans cette perspective des agents économiques n'aurait
plus aucun lien avec leur capacité à faire des efforts
d'adaptation. Elle serait uniquement liée au nombre d'abonnés au
fournisseur d'accès Internet.
Pierre Sirinelli : Le système de licence globale est fondé sur l'idée
de compensation. Ce que nous désirons, c'est mettre sur pied un
système incitatif, c'est-à-dire qui conduise les industries
culturelles vers le P2P.
RENFORCER LE DROIT D'AUTEUR AU RISQUE DE BRIDER L'INNOVATION ?
Le chat : N'y a-t-il pas une contradiction entre admettre que le CD
est en fin de cycle de vie et défendre le renforcement du droit
d'auteur au risque de brider l'innovation du P2P sans DRM (Digital
Rights Management), en laissant aux majors le soin de décider quel
mode de distribution leur apporte le plus de rente ?
Joëlle Farchy : Je ne vois aucune contradiction dans ces deux
choses. Ce n'est pas parce que le vinyle était en fin de cycle de vie
qu'il n'y a plus de production musicale. Et donc dire que
vraisemblablement on consommera beaucoup moins de musique sur CD dans
dix ans ne veut pas dire qu'on consommera beaucoup moins de
musique. Par ailleurs, défendre le droit d'auteur, ça n'a jamais été
défendre le 78-tours, le vinyle ou le CD, c'est défendre les formes de
création. Ça n'a strictement rien à voir.
Céline : Est-ce qu'une ou des dispositions du projet de loi peuvent
rendre obligatoires les DRM pour tous les logiciels, ce qui serait une
menace directe pour tous les logiciels libres et les formats ouverts ?
Pierre Sirinelli : Non. La commission a plusieurs fois amendé ses
propositions de textes. Et alors que les premiers projets pouvaient
conduire à l'obligation d'intégrer des DRM, la rédaction finale ne
comporte plus aucune obligation de ce type. La commission, par
exemple, a été sensible aux arguments présentés par les tenants du
logiciel libre.
Guillaume : Vous assénez à répétition que le peer to peer actuel est
illicite. N'est-ce pas confondre le moyen et le contenu ?
Pierre Sirinelli : L'observation est parfaitement exacte. Le P2P est
par lui-même une technique neutre. Ce sont les usages faits par les
internautes qui peuvent éventuellement être illicites. Mais certains
usages sont naturellement légaux. Les travaux de cette commission
n'ont donc pas consisté à interdire le P2P. Nous avons au contraire
recherché le moyen d'en favoriser l'essor, mais nous avons souhaité
aussi sensibiliser, voire responsabiliser, les éditeurs de logiciels
qui bâtissaient leur business model sur les échanges contrefaisants.
Fred : M. Sirinelli, la Fondation pour le logiciel libre demande un
siège au CSPLA depuis trois ans, qui lui est refusé. Comment peut-on
dire que les tenants du logiciel libre ont pu présenter et défendre
leurs arguments ?
Pierre Sirinelli : Il faut distinguer l'institution du CSPLA et les
commissions de travail du CSPLA. La répartition des sièges au CSPLA se
fait par désignation du ministre. La composition des commissions
appartient au président du CSPLA d'une part, et au président des
commissions d'autre part. Pour ce qui nous concerne, nous avons
souhaité entendre les représentants du libre, et certains d'entre eux
ont même pu assister aux dernières réunions de travail. Pour ce qui
me concerne, j'avais procédé de la même façon dans la précédente
commission ayant trait aux droits de la concurrence. Les thèses du
libre sont des thèses nobles, et il me paraît légitime qu'il soit
entendu. Mais la composition du CSPLA ne nous appartient pas à Joëlle
Farchy et à moi. Il n'est pas impossible qu'en 2006 le CSPLA mette
dans ses travaux l'étude des questions relatives au libre. Il me
paraît évident que des représentants du libre participeront à ces
travaux.
TNK : Ne voyez-vous pas dans les DRM un frein à la consommation plus
qu'un frein au ôòó déjà illégal ôòó piratage ? En fait, au niveau
strictement des droits d'auteur, je ne vois pas l'intérêt de cette
loi, la mise a disposition d'ô óuvres protégés par le droit d'auteur
sans l'autorisation des ayants droit étant déjà illégale. En tout cas,
personnellement, je boycotte tout produit "Copy controlled" / DRM.
Pierre Sirinelli : La question des DRM ne relève pas du bon vouloir de
la commission. C'est une question qui a été traitée par les
conventions internationales et des directives communautaires. L'idée
de ces textes internationaux est que la seule couche de protection
juridique du droit d'auteur est insuffisante pour assurer la
protection des ô óuvres. Ces textes ont donc permis l'adoption d'une
deuxième couche de protection qui est technique. Ces mêmes textes
rendent obligatoire pour les Etats l'adoption d'une troisième couche
de protection, qui est une nouvelle couche juridique protégeant les
DRM, et en interdisant le contournement.
On a des ô óuvres en protection "millefeuille". Les Etats membres n'ont
aucune marge d'initiative sur ce terrain. La commission ne s'est donc
absolument pas préoccupée de ces questions, traitées dans le texte de
transposition de la directive de 2001 présenté au Parlement la semaine
prochaine. Bien sûr, il faut veiller à l'inter-opérabilité ou à la
compatibilité entre les systèmes.
Rostro : Le manque d'inter-opérabilité des solutions légales n'est-il
pas un obstacle au développement de ces offres ?
Joëlle Farchy : Si. Dans notre rapport, nous avons bien spécifié que
l'inter-opérabilité ou la compatibilité étaient des objectifs
fondamentaux si l'on voulait mettre en place des offres légales qui
soient acceptées par les consommateurs.
Céline : Qu'est-ce qui permet d'assurer que le développement d'un peer
to peer légal rencontrera l'adhésion des plus "gros" téléchargeurs que
sont les adolescents ?
Joëlle Farchy : Rien ne permet de l'assurer. Comme toutes les offres
nouvelles, c'est un pari. Sur ces questions, seules des offres
innovantes permettront d'assurer l'équilibre entre toutes les parties
prenantes.
Pierre Sirinelli : Dans le rapport, il y a toute une série de mesures
pour inciter les gens à aller vers ces offres légales et faire en
sorte que l'essor de ces offres légales ait pour conséquence
d'accroître l'offre tout en faisant baisser le prix. Si des gens
restent à l'écart de ces systèmes, alors on retombera sur la logique
de la contrefaçon, c'est-à-dire celle des actions judiciaires de ces
derniers mois. Ce que nous, nous ne souhaitons pas.
Gillesd : Comment interdire le P2P illicite alors que ces logiciels
sont disponibles sur des serveurs étrangers qui ne sont pas soumis aux
lois françaises ?
Pierre Sirinelli : L'interdiction des logiciels illégaux n'est pas la
marque du génie juridique français. Aux Etats-Unis, en Australie, ces
interdictions existent déjà. Des solutions de ce type vont se
multiplier de telle sorte que peu à peu, cette question ne se posera
plus. Les travaux du CSPLA ont également été suivis à l'étranger, et
un intérêt pour les solutions développées par la commission a déjà été
manifesté.
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