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Re: [Fsfe-france] Pour archive: Chat Mr Sirinelli du 14 Décembre 2005


From: Benoît Sibaud
Subject: Re: [Fsfe-france] Pour archive: Chat Mr Sirinelli du 14 Décembre 2005
Date: Thu, 22 Dec 2005 10:50:25 +0100

(le même avec le bon jeu de caractères pour les archives)

Distribution des oeuvres en ligne : quel avenir pour les logiciels
d'échange de pair à pair ?

Débat avec Perre Sirinelli et Joëlle Farchy, président et vice-présidente
de la commission sur les contenus numériques et la distribution des
oeuvres en ligne du Conseil supérieur de la propriété littéraire et
artistique.

Paul-Emile : Ne pensez-vous pas que le P2P (peer to peer) soit un
contrepoids social et distribué à quatre multinationales géantes (pour
faire court) qui peuvent décider monopolistiquement de quel contenu doit
être distribué, quand et à quel prix ? Au nom de quel droit d'auteur
peut-on empêcher l'accès à des oeuvre s protégées mais qui ne sont plus
distribuées parce que non rentables ?

Joëlle Farchy : Ce qui est très vrai, c'est que le marché du disque est un
marché extrêmement oligopolistique. Cela étant, il l'a été depuis les
origines, et ce n'est pas pour autant que la musique n'était pas vendue.
Le peer to peer est effectivement le début d'une nouvelle forme de
consommation, ça ne veut pas dire qu'il ne faut plus qu'il y ait de
rémunération pour les auteurs et les producteurs. Ce qui est important, ce
n'est pas seulement l'existence de ces quatre multinationales, c'est la
manière dont l'argent est réparti et le fait que ces multinationales
puissent faire vivre des créateurs, des artistes interprètes.

Pierre Sirinelli : En fait, le droit d'auteur n'est pas en soi un obstacle
à l'utilisation des oeuvres. Et les travaux de la commission ont eu pour
objectif d'accroître l'offre d'oeuvres et même de conduire à la
possibilité d'accès à des oeuvres qui étaient jusqu'alors oubliées. Ce que
nous souhaitons développer, c'est un peer to peer légal.

JZ : Mme Farchy, qu'est-ce qui vous fait penser, en tant qu'économiste,
que l'industrie du disque traverse une crise qui serait due aux
téléchargements sur Internet ? Il semblerait que les résultats nets
d'Universal Music aient été multipliés par trois l'année dernière...

Joëlle Farchy : Il ne faut pas être extrémiste, d'un côté comme de
l'autre. Il est impossible de dire que toute la crise que l'industrie du
disque a traversée depuis quelques années est uniquement liée au piratage.
Il y a dans le domaine de la musique, depuis toujours, des cycles de vie
des produits, et on peut imaginer que le CD qui a été lancé au début des
années 1980 était en grande partie en fin de cycle de vie. Et donc, que de
nouvelles offres étaient nécessaires. Ce qui est très particulier
aujourd'hui, c'est que les nouvelles offres n'ont pas été lancées par les
industriels, comme les autres cas dans l'histoire de cette industrie, mais
par les internautes eux-mêmes.

Si on ne peut pas dire que toute la crise est liée au piratage, il serait
aussi tout à fait absurde de penser que les nouvelles formes de
consommation n'ont aucun impact sur les ventes de CD traditionnels. Là
encore, ce qui est important, c'est de trouver des nouvelles offres qui
correspondent à la fois aux attentes des consommateurs et à la vivacité et
à la diversité de la création.

Sophie Dalbin : Comment envisagez-vous l'exploitation commerciale du P2P ?

Pierre Sirinelli : Il faut bien comprendre que l'essor du P2P légal ne
peut se faire que s'il ne subit pas la concurrence déloyale du P2P
illicite. Le but de l'opération est donc de favoriser cet essor légal en
lui offrant un cadre sécurisé. Ce qui signifie mettre les internautes à
l'abri des poursuites, laisser aux ayants droit la possibilité de décider
des modes de communication, et sensibiliser tous les intermédiaires de la
chaîne au respect des droits de propriété intellectuelle.

Joëlle Farchy : Les nouvelles offres qui seront proposées ne sont pas
forcément des offres commerciales classiques. Et on peut parfaitement
imaginer des modèles dans lesquels des offres gratuites seraient proposées
aux internautes, tout en générant des ressources pour les auteurs, les
producteurs et les artistes interprètes. Ce qui est très choquant, c'est
lorsque des sites de P2P développement des business models dans lesquels
ils gagnent eux-mêmes beaucoup d'argent sans rien reverser aux créateurs,
alors même que toute leur activité fonctionne sur l'existence de contenus
culturels.

Antoine : Que pensez-vous de la récente "Etude de faisabilité sur un
système de compensation pour l'échange des oeuvres sur Internet" dirigée
par le professeur André Lucas ?

Pierre Sirinelli : Le rapport présenté par l'Alliance n'est pas une
réponse aux travaux de la commission, puisqu'il s'agit d'un rapport de six
mois antérieur aux conclusions de la commission du CSPLA (Conseil
supérieur de la propriété littéraire et artistique). Ce rapport est un
rapport produit par le laboratoire d'André Lucas et rédigé par deux jeunes
chercheurs de ce laboratoire, mais non par le professeur Lucas lui-même.
Sur le fond, pour en avoir beaucoup discuté avec lui - mais c'est à lui
qu'il convient de poser la question -, il semblerait que le professeur
Lucas ne voie pas d'obstacle juridique majeur à la mise en place du
système de licence dite "globale".

En revanche, il trouve qu'en termes d'opportunité, ce serait une mauvaise
solution. La commission, elle, a très longuement discuté sur la
faisabilité juridique de pareille construction, et la majorité de la
commission a conclu à la non-conformité de cette solution aux engagements
internationaux de la France. C'est-à-dire la convention de Berne ou la
directive communautaire. Sur le plan économique, la commission a trouvé
que les propositions n'étaient pas réalistes.

Joëlle Farchy : Au départ, la proposition de l'Alliance s'appelait
"licence légale". La licence légale est une forme de mise en oeuvre des
droits d'auteur qui remet en cause le principe fondamental de droit
fondamental d'autoriser ou d'interdire l'exploitation d'une oeuvre.

Pierre Sirinelli : Elle est donc envisagée de façon restrictive par les
textes internationaux. Pour cette raison, l'Alliance a mis sur pied non
pas un vrai système de licence légale, mais un système de gestion
collective obligatoire qu'elle appelle "licence globale".

Joëlle Farchy : Sur le plan économique, cette solution est extrêmement
séduisante a priori, c'est pour cela qu'elle soulève autant de passion. En
fait, si on y regarde de plus près, c'est un modèle beaucoup plus complexe
qu'il n'apparaît, et surtout c'est un modèle défensif, contrairement à ce
qui est affiché. Le premier gros problème, c'est que personne ne sait
aujourd'hui quel serait le montant de cette rémunération. Et ce qui est
très clair, c'est que si on veut que ce soit supportable pour les
internautes, il faudra se limiter à certains types de contenus.

Par exemple, uniquement la musique, ou uniquement les films anciens. Ce
qui veut dire qu'il va falloir expliquer aux internautes qu'il sera légal
de télécharger les films de plus de quatre ans, mais que par contre ils
pourront toujours être poursuivis s'ils téléchargent des films récents.

On est donc loin de la simplicité affichée. D'autre part, la rémunération
dans cette perspective des agents économiques n'aurait plus aucun lien
avec leur capacité à faire des efforts d'adaptation. Elle serait
uniquement liée au nombre d'abonnés au fournisseur d'accès Internet.

Pierre Sirinelli : Le système de licence globale est fondé sur l'idée de
compensation. Ce que nous désirons, c'est mettre sur pied un système
incitatif, c'est-à-dire qui conduise les industries culturelles vers le
P2P.

RENFORCER LE DROIT D'AUTEUR AU RISQUE DE BRIDER L'INNOVATION ?

Le chat : N'y a-t-il pas une contradiction entre admettre que le CD est en
fin de cycle de vie et défendre le renforcement du droit d'auteur au
risque de brider l'innovation du P2P sans DRM (Digital Rights Management),
en laissant aux majors le soin de décider quel mode de distribution leur
apporte le plus de rente ?

Joëlle Farchy : Je ne vois aucune contradiction dans ces deux choses. Ce
n'est pas parce que le vinyle était en fin de cycle de vie qu'il n'y a
plus de production musicale. Et donc dire que vraisemblablement on
consommera beaucoup moins de musique sur CD dans dix ans ne veut pas dire
qu'on consommera beaucoup moins de musique. Par ailleurs, défendre le
droit d'auteur, ça n'a jamais été défendre le 78-tours, le vinyle ou le
CD, c'est défendre les formes de création. Ça n'a strictement rien à voir.

Céline : Est-ce qu'une ou des dispositions du projet de loi peuvent rendre
obligatoires les DRM pour tous les logiciels, ce qui serait une menace
directe pour tous les logiciels libres et les formats ouverts ?

Pierre Sirinelli : Non. La commission a plusieurs fois amendé ses
propositions de textes. Et alors que les premiers projets pouvaient
conduire à l'obligation d'intégrer des DRM, la rédaction finale ne
comporte plus aucune obligation de ce type. La commission, par exemple, a
été sensible aux arguments présentés par les tenants du logiciel libre.

Guillaume : Vous assénez à répétition que le peer to peer actuel est
illicite. N'est-ce pas confondre le moyen et le contenu ?

Pierre Sirinelli : L'observation est parfaitement exacte. Le P2P est par
lui-même une technique neutre. Ce sont les usages faits par les
internautes qui peuvent éventuellement être illicites. Mais certains
usages sont naturellement légaux. Les travaux de cette commission n'ont
donc pas consisté à interdire le P2P. Nous avons au contraire recherché le
moyen d'en favoriser l'essor, mais nous avons souhaité aussi sensibiliser,
voire responsabiliser, les éditeurs de logiciels qui bâtissaient leur
business model sur les échanges contrefaisants.

Fred : M. Sirinelli, la Fondation pour le logiciel libre demande un siège
au CSPLA depuis trois ans, qui lui est refusé. Comment peut-on dire que
les tenants du logiciel libre ont pu présenter et défendre leurs
arguments ?

Pierre Sirinelli : Il faut distinguer l'institution du CSPLA et les
commissions de travail du CSPLA. La répartition des sièges au CSPLA se
fait par désignation du ministre. La composition des commissions
appartient au président du CSPLA d'une part, et au président des
commissions d'autre part. Pour ce qui nous concerne, nous avons souhaité
entendre les représentants du libre, et certains d'entre eux ont même pu
assister aux dernières réunions de travail. Pour ce qui me concerne,
j'avais procédé de la même façon dans la précédente commission ayant trait
aux droits de la concurrence. Les thèses du libre sont des thèses nobles,
et il me paraît légitime qu'il soit entendu. Mais la composition du CSPLA
ne nous appartient pas à Joëlle Farchy et à moi. Il n'est pas impossible
qu'en 2006 le CSPLA mette dans ses travaux l'étude des questions relatives
au libre. Il me paraît évident que des représentants du libre
participeront à ces travaux.

TNK : Ne voyez-vous pas dans les DRM un frein à la consommation plus qu'un
frein au - déjà illégal - piratage ? En fait, au niveau strictement des
droits d'auteur, je ne vois pas l'intérêt de cette loi, la mise a
disposition d'oeuvres protégés par le droit d'auteur sans l'autorisation
des ayants droit étant déjà illégale. En tout cas, personnellement, je
boycotte tout produit "Copy controlled" / DRM.

Pierre Sirinelli : La question des DRM ne relève pas du bon vouloir de la
commission. C'est une question qui a été traitée par les conventions
internationales et des directives communautaires. L'idée de ces textes
internationaux est que la seule couche de protection juridique du droit
d'auteur est insuffisante pour assurer la protection des oeuvres.  Ces
textes ont donc permis l'adoption d'une deuxième couche de protection qui
est technique. Ces mêmes textes rendent obligatoire pour les Etats
l'adoption d'une troisième couche de protection, qui est une nouvelle
couche juridique protégeant les DRM, et en interdisant le contournement.

On a des oeuvres en protection "millefeuille". Les Etats membres n'ont
aucune marge d'initiative sur ce terrain. La commission ne s'est donc
absolument pas préoccupée de ces questions, traitées dans le texte de
transposition de la directive de 2001 présenté au Parlement la semaine
prochaine. Bien sûr, il faut veiller à l'inter-opérabilité ou à la
compatibilité entre les systèmes.

Rostro : Le manque d'inter-opérabilité des solutions légales n'est-il pas
un obstacle au développement de ces offres ?

Joëlle Farchy : Si. Dans notre rapport, nous avons bien spécifié que
l'inter-opérabilité ou la compatibilité étaient des objectifs fondamentaux
si l'on voulait mettre en place des offres légales qui soient acceptées
par les consommateurs.

Céline : Qu'est-ce qui permet d'assurer que le développement d'un peer to
peer légal rencontrera l'adhésion des plus "gros" téléchargeurs que sont
les adolescents ?

Joëlle Farchy : Rien ne permet de l'assurer. Comme toutes les offres
nouvelles, c'est un pari. Sur ces questions, seules des offres innovantes
permettront d'assurer l'équilibre entre toutes les parties prenantes.

Pierre Sirinelli : Dans le rapport, il y a toute une série de mesures pour
inciter les gens à aller vers ces offres légales et faire en sorte que
l'essor de ces offres légales ait pour conséquence d'accroître l'offre
tout en faisant baisser le prix. Si des gens restent à l'écart de ces
systèmes, alors on retombera sur la logique de la contrefaçon,
c'est-à-dire celle des actions judiciaires de ces derniers mois. Ce que
nous, nous ne souhaitons pas.

Gillesd : Comment interdire le P2P illicite alors que ces logiciels sont
disponibles sur des serveurs étrangers qui ne sont pas soumis aux lois
françaises ?

Pierre Sirinelli : L'interdiction des logiciels illégaux n'est pas la
marque du génie juridique français. Aux Etats-Unis, en Australie, ces
interdictions existent déjà. Des solutions de ce type vont se multiplier
de telle sorte que peu à peu, cette question ne se posera plus. Les
travaux du CSPLA ont également été suivis à l'étranger, et un intérêt pour
les solutions développées par la commission a déjà été manifesté.

-- 
Benoît Sibaud





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