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[Fsfe-france] EUCD : Mon compte -rendu


From: Christophe Espern
Subject: [Fsfe-france] EUCD : Mon compte -rendu
Date: 23 Dec 2002 19:44:53 +0100

Bonjour Loic, bonjour tout le monde,

Je suis très heureux de la formation d'une équipe de juriste et je
trouve le communiqué de presse explicite.

J'ai retiré mon document précédent. Ce doc ne m'a servi à formaliser mes
pensées, à m'éclaircir l'esprit ce qui a abouti à la rédaction de la
lettre qui suit, fruit d'un dur labeur je ne le vous cache pas. On peut
voir cette lettre comme mon compte-rendu d'investigation ;)

A terme, j'envisage de fusionner le doc et la lettre et pourquoi pas de
le publier si il s'avère que je ne dis pas trop de conneries.

J'ai eu besoin de rédiger car j'avais du mal sur certains points de la
liste. De fil en aiguille, je commence, je penche, à toucher le point
sensible, cet amalgame que fait l'EUCD entre une vulgaire reproduction
de l'oeuvre stocké sur un support et l'oeuvre en elle-même, entre le
bien immatériel, lui inappropriable, et à la reproduction de l'oeuvre
stockée sur un support ou bien téléchargée.

Je pense donc qu'il est possible pour un juriste de tenir un discours
cohérent et étayé en faisant une analogie avec DeCSS pour démontrer que
en interdisant de contourner les mesures de protection technique sur des
supports protégés, on revient sur ce que j'appelle le droit d'usage à la
fois de l'oeuvre, du support et des périphériques car on revient sur
l'utilisation normale dans un cadre privé de produits achetés par le
consommateur en piétinant l'exception au droit de représentation dans un
cercle familial et l'exception au droit de reproduction pour la copie
privée, tout à fait légitime car compensée par la taxe sur les supports
physiques.

De même, pour conserver le droit de communiquer sur un algoritme
permettant de contourner un dispositif de protection ou pour pouvoir
diffuser un logiciel utilisant cet algoritme, il faudrait sans doute
utiliser l'atteinte à la liberté de création car l'EUCD empéche certains
auteurs d'utiliser leur droit de divulgation. De là, on peux démontrer
que l'on porte atteinte au droit moral et donc à une liberté
fondamentale mais aussi au droit d'exploiter une oeuvre personnelle, un
logiciel, et ce sans aucune raison valable. Le discours d'atteinte à la
libre concurrence, lui, viendra sans doute aussi de là car au final on
rejoint la vente liée.

Bon, je vous préviens, c'est un peu long, et il doit reste des "tu" car
au départ c'était vraiment un mail :-)

Rappel : je ne suis pas juriste. A prendre donc avec des pincettes.


****************
LE DROIT D'USAGE 
****************


I - DEMONSTRATION
******************

Comme je te l'ai dit lors de notre premier coup de fil, la première
chose qui m'a choqué dans l'EUCD, c'est la création du droit de
communication par l'article 3 de l'EUCD ou plutôt son énoncé. J'ai tout
de suite pensé au droit de représentation et je me suis dit que présenté
comme ça et assorti d'une interdiction de contournement des mesures de
protection, à l'ère du numérique, c'était sûrement dangereux.

Ce point me travaille depuis le début car actuellement le droit de
représentation est en général cédé à des professionnels (bars, boîtes,
...). En relisant le doc de l'EFF sur DeCSS et le mémoire de DEA des
étudiants de Montpellier, en repensant à ce que m'a dit par mail
Alexandre Dulaunoy sur le problème des encyclopédies et face à
l'argumentation de Martin Keegan sur l'interdiction de fait de la copie
privée par des licences grand public non négociables, j'ai finalement
peu à peu construit un argumentaire qui vaut ce qu'il vaut mais qui a le
mérite d'exister.

DeCSS est un cas intéressant car c'est un logiciel qui permets de
représenter des oeuvres et pas forcément de les reproduire. Quand je
regarde un DVD sur mon ordinateur, je suis en plein dans le cas d'une
représentation et non d'une reproduction. En tant que consommateur et
public, j'ai le droit de représenter une oeuvre chez moi que ce soit en
famille ou avec des amis.

Je peux en faire l'usage que je veux dans un cadre privé tout comme je
peux faire un nombre de copies privées illimité. Si je veux graver des
dizaines de copies du dernier Madonna pour tester un logiciel que je
développe pour créer mes propres compilations CD,  j'ai le droit tant
que je ne redistribue pas ses copies. De même, si j'arrive à brancher 1
moniteur dans chaque pièce de ma maison pour ne pas perdre une miette
d'un film quand je vais au toilette, j'ai le droit tant que je ne fais
pas payer 10 francs à mes amis quand ils viennent me rendre visite. Le
droit d'usage, c'est donc beaucoup plus qu'un droit de faire un nombre
limité de copie privée ou de représentation dans des conditions fixées à
l'avance, limitées temporellement ou en fonction du nombre de
spectateurs ou bien du de périphériques que je peux utiliser. 

Nulle part il n'est écrit que l'exception au droit de réprésentation
dite du cercle familial, pas plus d'ailleurs que l'exception de copie
privée, est liée à un support donné ou à un type de périphérique. Il en
va d'ailleurs de même pour la copie sauvegarde. Je suis libre de choisir
les supports utilisés pour la représentation, la copie privée ou la
sauvegarde. C'est ce que j'appelle la liberté de choix dans plusieurs de
mes docs. De même, je dois être libre de compiler plusieurs CD sur un
seul support et extraire certaines parties de ces oeuvres pour, par
exemple, sampler et faire ma propre chanson pour mon usage personnel. Je
peux par exemple copiez deux titres en provenance de deux CD sur mon
ordinateur, les mixez avec un logiciel que j'ai développé, compresser le
tout et appliquer un effet avec un logiciel libre ou du domaine public.
Je peux copier le résultat sur un auto-radio MP3 et l'écouter dans ma
voiture. On ne peut m'enlever ça.

L'oeuvre n'est pas et ne peut pas être le support pas plus que les
titres stockés. Ce ne sont que des reproductions d'une oeuvre originale
qui ne sont pas non plus être liés au support. L'oeuvre, le support et
les titres sont donc bien dissociables. En l'ocurrence, et c'est rare
que moi j'utilise ce mot en matière de PLA, je possède donc bien quelque
chose de plus que le CD. Pas l'oeuvre en tant que telle mais bien la
reproduction, un clone de l'oeuvre dont j'ai le droit d'user
indépendamment du support. Je suis libre de l'utiliser pour un usage
privé ou de la transférer d'un support à un autre. C'est exactement
comme vider une bouteille de Coca pleine dans une bouteille de Pepsi
vide pour ensuite aller la siroter devant un magazine. Si je fais
attention, je n'en perds pas une goutte.

Comme je te l'ai évoqué téléphone, je pense que ce que dit Hervé Rony
est le fond du débat, ce sur quoi il faut se concentrer. Ce monsieur,
qui je le rappelle est président du syndicat de l'édition
phonographique, déclare :

"Il n'est pas légitime pour une copie privée d'avoir la même qualité que
l'originale : il n'est pas légitime d'assurer au consommateur un clone ;
il n'est pas nécessaire non plus que cette copie soit lisible sur tous
les appareils disponibles dans le commerce."

Il fait l'amalgame sans doute exprès entre usage et copie, entre
représentation et reproduction en commençant à légitimer le fait
d'interdire la lecture par certains périphériques ou la copie d'un
support numérique à un autre. Il est inexact que la copie privée devrait
être dégradée pour être légitime. Hervé Rony, le dit. Pas la loi.

De plus, si tu regardes de près, dans le cas d'oeuvres stockées sur un
support physique lu sur un ordinateur, l'exception de copie provisoire
prévu par l'article 5.1b n'est finalement là que pour assurer le droit
de représentation. Il est donc légitime pour un consommateur de
contourner une mesure de technique de protection pour pouvoir
représenter l'oeuvre sur son ordinateur si il ne dispose pas de platine
CD. Tout comme il est légitime d'exercer son droit à la copie privée ou
la copie de sauvegarde dans les même conditions. Pour moi, c'est un
usage qui est licite et contre lequel on ne devrait pas pouvoir aller.

Si je ne veux pas acheter un DVD, je le loue dans une vidéothèque ou je
vais au cinéma et c'est très différent. En achetant un DVD, j'ai bien un
droit de représentation et de copie qui m'est inaliénable une fois le
support payé. Je peux regarder le film sur n'importe quelle télé avec
n'importe quel lecteur et détacher la reproduction du support pour la
stocker ailleurs si je l'ai décidé. Ce que je ne peux pas faire, c'est
redistribuer des copies ou utiliser l'oeuvre à des fins commerciales,
c'est concurrencer l'auteur ou le détenteur de droits sur l'oeuvre. Et
bien sur l'oeuvre et pas sur le logiciel ou le périphérique lisant cette
oeuvre. Le monopole du droit d'auteur s'arrète aux oeuvres et ne peut
contaminer les logiciels et les périphériques lisant les reproductions
fixées sur des supports physiques. La concurrence est libre dans ce
domaine. 

Tu peux donc démontrer que le fait d'interdire le contournement de
l'oeuvre à des fins de lecture par des dispositifs logiciels revient
finalement à créer un droit patrimonial complémentaire pour les éditeurs
des logiciels de protection, un monopole uniquement justifié par la
paranoïa et interdisant de fait l'ingénierie inverse sur les formats de
fichiers. Interdire DeCSS, ce serait un procés d'intention, l'auteur
d'un tel logiciel et l'utilisateur seraient coupables par défaut et
devrait attendre le procès pour être dédouanés comme dans l'affaire
Adobe vs ElcomSoft. 

Normalement, tu devrais être libre de commercialiser ton logiciel de
lecture de DVD tout comme tu peux créer un traitement de textes en
t'inspirant de Word. Si les documents Words sont automatiquement
enregistrés dans des formats où il y a une protection, il sera
impossible de développer un éditeur de textes compatible avec Word sans
être autorisé par Microsoft. Il sera également impossible de lire un
livre autrement que sous Word si le détenteur des droits sur l'oeuvre
l'a ainsi décidé.

 On revient donc de nouveau sur l'atteinte au droit d'usage et à la
liberté de choix du consommateur puisque la libre concurrence est
faussée et qu'il ne peut jouir pleinement du produit qu'il a pourtant
acheté.  Au nom de quoi peut-on empecher quelqu'un de faire une copie
d'un format Ebook vers un format PDF en interdisant à un développeur de
créer un tel logiciel ? Où est l'infraction, l'atteinte au droit
d'auteur ou bien aux droits voisins ? Dire que c'est de la contrefaçon,
c'est tout simplement se foutre de la gueule du monde. C'est une
projection gratuite à la fois des intentions du développeur et de
l'utilisateur. C'est comme de dire que si je fabrique ou j'achète un
couteau, je vais tuer mon voisin.

Vu que les développeurs sont des auteurs avant d'être des salariés, pour
moi c'est plus de la censure. La liberté de création étant concommitante
à la liberté d'expression et de pensée, il y a atteinte à des libertés
et à des droits fondamentaux reconnus par la Cour Européenne des Droits
de l'Homme.


II - REMARQUES / PROPOSITIONS
******************************

Au final, ce qui est bien dans mon argumentaire (sans doute parfois
bancal, je ne me leurre pas) et au delà de certains exemples sans doute
explicite comme la bouteille de Coca, c'est que tu pars de la seule
exception autorisée par la directive, la copie provisoire, et de
l'exception au droit de réprésentation dans le cercle familial, une
exception que l'on ne peut remettre en cause. 

C'est un droit évident que de pouvoir lire l'oeuvre où tu le souhaites,
quand tu le souhaites et avec le périphérique et le support de ton choix
tout comme d'ailleurs le droit de transférer ou de dupliquer un oeuvre
pour une copie privée dans les même conditions. Ce droit, tu l'as acquis
en t'acquittant de droits et en payant une taxe. L'exception de copie
privée comme son nom l'indique relève de la vie privée et vise à
permettre une libre utilisation de l'oeuvre par le public dans un cadre
privé. C'est un complément obligatoire de l'exception au droit de
représentation pour pouvoir jouir pleinement de la reproduction de
l'oeuvre. 

Je pense donc que l'EUCD a oublier l'exception pour la représentation
dans un cercle familial qui impose d'autoriser les mesures de
contournement à tout consommateur pour jouir de son achat. C'est une
atteinte à ce que j'appelle donc le droit d'usage ("The right to use" ;)
et dès lors, on porte atteinte à ma vie privée. En France, ce droit
d'usage doit être dans la loi et c'est le sens de des exceptions
actuelles au droit de reproduction et de représentation. Je n'avais pas
exactement compris pourquoi UFC-Que Choisir parlait de droit fondamental
dans le débat sur la copie privée. Maintenant, c'est très clair.
Contrairement à ce qui a été récemment dit dans Libé, les exceptions au
droit d'auteur sont bien des droits fondamentaux du public et c'est bien
d'ailleurs pour cela qu'ils sont inscrits dans le Code de la Propriété
Intellectuelle et pas dans un contrat. 

La directive porte également atteinte au droit moral des auteurs
développeurs de logiciels libres et du domaine public, et je pense aussi
à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle en faisant le
jeu de monopoles disposant désormais d'une caution juridique absolument
inacceptable car ne relevant d'aucune protection légitime. C'est
sûrement une atteinte à la libre concurrence et ça va pénaliser la libre
circulation des biens et des marchandises puisque les périphériques
risquent de devoir être différents d'un Etat Membre à l'autre en
fonction des exceptions implémentées au regard des impératifs du droit
national.

Si je ne me trompe pas sur ce 5.1b, l'exception au droit de
représentation et DeCSS, ça serait déjà pas mal. Car on relierait droit
communautaire, droit français et exemple concret en Europe et qui plus
est sans DMCA. Jon Johansen est poursuivi à l'aide d'une loi portant sur
les réseaux de communication et les services téléphoniques, donc
détournée de son but premier. Pour moi, c'est illégitime car à aucun
moment, il n'est question d'Internet ou de services en ligne. 

On reste donc bien sur du basique: l'usage juste est t-il lié à un
support, à un un type de périphérique ou bien à un format ? Si non, sur
combien de supports, l'oeuvre doit-elle être disponible ? Quel
compatibilité est obligatoire entre périphériques pour permettre un
libre accès aux oeuvres et un usage normal ? Et pour l'interopérabilité
entre logiciels, qui décide ?

Plutôt que d'avoir à répondre à de telles questions et pour conserver
l'immatérialité des oeuvres de l'esprit, je propose que soit interdite
les clauses contractuelles et les mesures techniques visant à favoriser
un format, un support ou un périphérique pour des actes légitimes comme
lire, regarder, écouter ou créer. De même, il faudrait inscrire dans la
loi que le nombre de copies privées et de représentations n'est pas
sujet à licence mais bien à la libre appréciation du consommateur. 

Il faudrait aussi interdire la vente d'oeuvres à usage unique sur
Internet ou avec une durée de stockage limitée dans le temps. Un fois
qu'un consommateur a payé la reproduction d'une oeuvre via l'achat d'un
support ou par téléchargement, il en fait ce qu'il veut dans un cadre
privé. C'est un droit et c'est toute la différence entre copyright et
droit d'auteur, chez nous, l'usage juste (le célèbre "fair use") doit
rester dans la loi, protégé des contrats et des technologies.

*******************

Dites moi, (si vous êtes toujours là ;),ce que vous en pensez. Loic, si
tu pouvez abordez le problème avec un professionnel, ça serait plus que
bien.

Car rappelez vous toujours : je ne suis pas un juriste donc tout ceci
est incertain.

Sur ce je vais dormir. Puis je vais manger. Enfin ;)

A +

Christophe








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