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[Fsfe-france] Quand la technique se substitue � la loi (take 2)


From: Loic Dachary
Subject: [Fsfe-france] Quand la technique se substitue à la loi (take 2)
Date: Wed, 4 Dec 2002 02:41:21 +0100

        Dernière version pour ce soir, j'intégrerais les commentaires
des insomniaques demain. Merci de votre l'aide. Dodo maintenant.

--
Quand la technique se substitue à la loi

Le DMCA (Digital Millenium Copyright Act) défraie la chronique aux
états unis depuis deux ans: il interdit des programmes lisant les DVD,
condamnant l'auteur d'un logiciel qui permet de lire un livre
électronique, fait fermer un serveur de jeux sur internet et musèle
les experts en sécurité informatique. Quels délits avaient été commis
pour encourir de telles sanction ? Aucun et c'est bien la racine du
problème. Il n'a même pas été prouvé qu'elles avaient l'intention de
nuire. La version française du DMCA arrive[1], discrètement discuté
depuis un an par le CSPLA[2] (Conseil Supérieur de la Propriété
Littéraire et Artistique) dont le BSA (Business Software Alliance)
fait partie. Loin d'être plus modéré que le DMCA, le projet de loi qui
sera discuté à huis clos jeudi 5 décembre 2002 propose même
d'autoriser des associations telles que le BSA à se substituer
purement et simplement aux auteurs, leur permettant donc de faire
condamner des personnes n'ayant commis aucun délit selon la loi que
nous connaissons.

Le DMCA, comme la directive européenne (2001/29/CE ou EUCD) dont est
issue le projet de loi[1], a pour intention déclarée de réprimer la
contrefaçon. Afin d'y parvenir le législateur commet l'impardonnable
erreur, tant du point de vue du droit que d'un point de vue humaniste,
de remplacer la loi par la technique.

Actuellement, copier un logiciel alors que l'auteur l'interdit est un
délit aux yeux de la loi qui définit ainsi exhaustivement les droits
auquel l'auteur peut prétendre. Si le projet de loi est approuvé,
n'importe quel procédé baptisé "contrôle d'utilisation" (article 14)
décidera de ce que vous avez le droit de faire ou non, à la discrétion
de l'auteur. La toute puissance légale de ce procédé (il peut s'agir
d'un appareil aussi bien que d'un logiciel) est stupéfiante: peut être
condamnée toute personne qui en parle ou qui le contourne, sans même
qu'il soit nécessaire de démontrer que cette personne ait eu
l'intention de commettre un délit.

Les exemples que nous a fourni le DMCA par le passé sont éclairants et
montrent jusqu'à quels extrêmes la substitution de la loi par la
technique nous mènera en France. Il ne s'agit pas de spéculation mais
d'observation des faits. Un serveur de jeux vidéo sur internet,
entièrement issu des efforts originaux d'une équipe de développeurs,
s'est vu interdire par la justice américaine. En effet, le serveur ne
contenait pas les mêmes procédés de "contrôle d'utilisation" que son
concurrent, tout en étant compatible avec lui. Cette absence de procédé a
été sanctionnée et qualifiée de contournement d'un procédé existant, en
raison de la compatibilité des deux serveurs. Ce cas peut se décliner
sur l'intégralité des services en ligne, annulant de fait toutes les
dispositions légales relatives à l'interopérabilité entre programmes.

Le cas le plus célèbre qui a fait connaître le DMCA du public est
l'interdiction du programme DECSS. Ce minuscule programme permet de
lire le contenu d'un DVD. Supposons l'oeuvre inscrite sur le DVD
acquise légalement. La personne en possession de la copie dispose
ainsi du droit de la visionner chez elle, il lui manque juste le
logiciel pour le faire. Développeuse talentueuse, elle écrit le
programme nécessaire, regarde le film et contrevient ainsi à la
loi. Ce développeur existe, il s'appelle Jon Johansen et il a été
condamné. Ce cas peut se décliner sur tous les moyens possibles
permettant de faire obstacle à la jouissance paisible d'une oeuvre
acquise licitement. La simple existence d'un "contrôle d'utilisation"
fait de nous des présumés coupables.

L'absurdité touche à son comble lorsqu'on réalise qu'il devient
illégal de parler en public de failles de sécurité dans les systèmes
informatiques. A l'heure où le monde plie sous le fléau des virus et
où les experts reconnaissent unanimement que la transparence est une
condition sine qua non pour sécuriser les systèmes, parler en public
d'un problème de sécurité devient un délit.  Alan Cox qui vit en
Angleterre et dont le nom est familier à tous les développeurs de
Linux, se verrait ainsi interdire de signaler un problème de sécurité
ou même de le corriger car une telle correction donnerait une
information sur le problème et serait donc un délit.

On constate donc qu'un procédé intitulé arbitrairement de "contrôle
d'utilisation" permet à la personne qui le diffuse d'exercer un
pouvoir sans précédent, qui déborde de beaucoup la repression de la
contrefaçon. Comment les rédacteurs du projet de loi ont-ils
s'aveugler à ce point ? Aucun d'entre eux ne suggérerait pourtant de
résoudre le problème de la délinquance et de l'insécurité en
emprisonnant toute la population. C'est pourtant ce qu'ils proposent
de faire, à l'échelle des droits d'auteur. Il ne se trouvera personne
pour nier que leurs efforts seront couronnés de succès : la
contrefaçon disparaîtra en effet. Il reste cependant deux questions
d'importance : que devient l'intérêt général sur lequel insiste la
directive (considérant 3, 14) et qui détient les clés de la geôle ?

Nous croyons parfois que les lois sont immuables et justes, conçues et
écrites par des êtres probes aux motifs nobles. Mais il faut se rendre
à l'évidence, ce projet de loi nous rappelle durement à la réalité qui
fait parfois modifier les lois pour le profit de quelques uns. La
directive européenne peut être accusée de développer un biais en
faveur des éditeurs et des majors mais elle s'abrite habilement
derrière des statistiques douteuses de contrefaçon et progresse sans
qu'une opposition efficace ne se forme. La maladresse stratégique des
rédacteurs du projet de loi français leur a fait quitter cette
relative réserve et dévoiler leurs véritables ambitions.

L'article 27 du projet de loi autorise les organismes de défense
professionnels à se substituer aux auteurs (ce que l'on appelle la
présomption de titularité).  Par exemple le BSA serait habilité à agir
au nom d'un auteur de logiciel, comme s'il en était lui même l'auteur,
sans même qu'il lui soit nécessaire de le consulter. Le BSA pourrait
aussi perquisitionner dans les entreprises. Voici donc révélés les
vrais bénéficiaires: le doute qui planait a été levé par l'ajout
inopportun de ces articles qui ne correspondent à rien dans la
directive européenne. Les rédacteurs du projet de loi ont péché par
excès de confiance, dévoilés leurs intentions et motivé ainsi une
résistance d'un tout autre ordre.

Le tableau n'est pas si sombre qu'il y paraît car il n'est pas trop
tard. Sans déroger à la directive, qui doit être transcrite en droit
national dans chaque pays d'Europe d'ici le 22 décembre 2002, il est
possible d'en corriger les effets de la plus simple façon.  En
conditionnant toutes les mesures prises à la nécessité d'apporter la
preuve d'une intention de nuire, on réintroduit l'intérêt général au
sein du projet de loi.  Tout un chacun est invité, et en particulier
les juristes, à se faire l'écho de cette requête.  Qu'il nous soit
possible, maintenant et toujours, de lire notre livre électronique
avec n'importe quel logiciel, de colmater les problèmes de sécurité si
nous en sommes capables, de concevoir des programmes coopérant
ensemble. Que la loi nous punisse lorsque la preuve de notre délit est
apportée et non lorsqu'un procédé technique en décide. Le CSPLA
délibère le 5 décembre 2002, si de nombreuses voix s'élèvent ils
pourront se rappeler enfin de l'intérêt général.

[1] http://www.planetelibre.org/main.php?type=news

[2] http://www.culture.fr/culture/cspla/conseil.htm

-- 
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